LES BOUCHES

DE BACCHUS

Nouvelle création
(en cours)

1h10

N’est-il pas fascinant que ce simple acte de « se mettre à table » soit chargé de tant de significations ? Ce geste banal du quotidien est en réalité une métamorphose, une transition où le besoin primaire de se nourrir se mue en une occasion de s’arrêter, de prendre le temps, de goûter à la vie dans toutes ses nuances. Le repas, qu’il soit festin ou frugalité, nous invite à célébrer ce qui nous unit, à sceller des alliances, à réconforter les cœurs brisés et parfois même, à tenter des réconciliations impossibles. 

Durée

1h10

Chorégraphes

Yannick Siméon
Jérémy Silvetti

interprètes

Clara Protar
Yannick Siméon
Jérémy Silvetti 

Création Lumière

Héléna Castelli

Photographe

Jérémie Pontin

Accueils - Résidences

En cours de recherche

Soutiens

En cours de recherche

Coproduction

En cours de recherche

LES BOUCHES DE BACCHUS

INTENTION POUR UNE BOUCHE

Le repas, cet instant sacré, est bien plus qu’un simple exercice de remplissage gastrique. Il est une danse, un ballet où les convives jouent le rôle d’artistes éphémères, tissant des liens avec des mets qui, eux aussi, ont une histoire à raconter. Ici, ce ne sont pas seulement des gourmets et des gourmands qui se rassemblent autour de la table, mais des âmes en quête d’une communion plus profonde, d’une célébration où l’art de servir devient un service de l’art, où le rituel est signe et le signe devient rituel.

N’est-il pas fascinant que ce simple acte de « se mettre à table » soit chargé de tant de significations ? Ce geste banal du quotidien est en réalité une métamorphose, une transition où le besoin primaire de se nourrir se mue en une occasion de s’arrêter, de prendre le temps, de goûter à la vie dans toutes ses nuances. Le repas, qu’il soit festin ou frugalité, nous invite à célébrer ce qui nous unit, à sceller des alliances, à réconforter les cœurs brisés et parfois même, à tenter des réconciliations impossibles. Mais attention, le repas peut aussi être un champ de bataille où les rancœurs enfouies surgissent soudain, transformant le festin en un théâtre de l’âme.

La table, autrefois régie par la férule du pater familias, s’est libérée de ses chaînes pour devenir un espace où l’on ose tout, même ne plus dresser la table tous les jours. Mais même si les rituels immuables de jadis ont laissé place à la précipitation moderne, le repas demeure un acte social d’une grande symbolique, un miroir où se reflètent nos transformations intérieures. Le mot « repas » lui-même, ne renferme-t-il pas en son sein un écho du « repère », ce point de convergence où l’on se retrouve, non seulement pour se nourrir, mais pour se « re-poser » ?

Et si l’on interrogeait l’étymologie de ces termes qui gravitent autour de la table ? « Gastronomie », ne serait-ce pas l’union mystique entre le gaster, ce ventre vorace, et le nomos, la loi qui ordonne et sublime le chaos des appétits ? Le repas, alors, oscille entre deux pôles : il peut n’être qu’un simple acte de consommation pour remplir l’estomac, ou bien il peut devenir une véritable communion, un rite où l’homme se redécouvre homme, un trait d’union entre la terre et le ciel, entre le prosaïque et le poétique.

Lorsque nous nous mettons à table, n’y a-t-il pas une cérémonie secrète qui se joue sous nos yeux ? Les cinq sens se mettent en éveil : l’œil contemple l’aliment, l’ouïe s’enivre des sonorités des couverts et des conversations, l’odorat capte les arômes qui prophétisent des mondes lointains, le goût enfin, nous fait devenir ce que nous goûtons, ne serait-ce qu’un instant. Quant au toucher, il évoque la retenue ou la sensualité, selon que l’on manie le couteau ou que l’on déchire le pain à mains nues. Le repas, dans sa version la plus raffinée ou la plus fragmentée, devient alors une alchimie de perceptions, où l’acte de manger se déploie entre le sublime et la prédation.

Mais pourquoi mangeons-nous ? La nutrition n’est-elle qu’un fait de constitution, alors que l’alimentation est un fait d’institution ? Là où l’animal dévore immédiatement, l’homme prend le temps de dresser la table, de cultiver et de sublimer l’aliment. La cuisine, elle, est un poème que la nutrition, dans sa prose, ne peut qu’envier. À travers le repas, la culture prend le relais de la nature, inventant sans cesse de nouvelles manières de faire du nécessaire une occasion d’inventivité.

L’histoire ne repasse jamais deux fois les mêmes plats, et nos tablées contemporaines sont un patchwork de contradictions. D’un côté, la haute gastronomie élève le repas à un art raffiné, tandis que de l’autre, l’utilitarisme du fast-food le ramène à une fonction purement nutritive. Les tables d’hôte fleurissent, offrant un espace de repos et de partage, tandis que la table disparaît dans le tourbillon des activités, réduisant l’alimentaire à l’utilitaire. Le repas se décline alors entre deux extrêmes : d’un côté, il se réduit à une simple alimentation, et de l’autre, il devient une expérience gustative exaltante.

Dans ce monde où la frénésie technicienne impose son rythme, le repas semble prendre trop de temps, devenir un luxe que l’on ne peut plus se permettre. La rationalisation industrielle du repas a transformé les cuisiniers en assembleurs et les convives en clients pressés. Les traditions de la tablée collective ont été remplacées par l’individualisme du plateau-repas. Mais, lorsque le sens du repas disparaît, il ne reste qu’un signal vide de substance, une illusion vendue par les publicitaires. Et pourtant, même dans ce contexte, le repas reste un lieu de résistance, un espace où l’on peut encore réinventer une poétique de l’alimentation, une manière de lutter contre la mécanisation du monde par l’imagination culinaire.

Car, en fin de compte, le repas est bien plus qu’un acte de nutrition. Il est un rituel où l’homme s’humanise, où il trouve dans le partage une élévation. Nos repas, tels des labyrinthes, renferment les minotaures de nos appétits et tracent les frontières entre l’humain et le non-humain. Le repas, de la scène ordinaire à la Cène, est une réponse poétique à la réduction fonctionnaliste, un acte de résistance où le symbole l’emporte sur le simple acte de manger. Le temps du repas devient alors un espace de liberté, un moment où l’on échange bien plus que des capitaux symboliques, où l’on invente une nouvelle manière, libre, de vivre et de manger.

Ainsi, le repas pris ensemble, dans sa dimension la plus poétique et allégorique, est bien plus qu’une simple nécessité biologique. Il est une occasion de réaffirmer notre humanité, de célébrer les liens qui nous unissent et de résister à la normalisation ambiante. À travers lui, nous pouvons redécouvrir le pouvoir de l’imagination et de la créativité, faisant du simple fait de manger un acte d’élévation et de transformation.

PROPOS ARTISTIQUE

Le repas, théâtre où se déploie une allégorie complexe, est un terrain de jeu pour l’imaginaire, une toile où se peignent les nuances de nos désirs et de nos peurs, de nos alliances et de nos ruptures. Chaque bouchée, chaque geste, chaque regard devient alors symbole, un signe éclatant dans le grand rituel social. Le repas n’est plus seulement un moment de consommation, mais une scène de métamorphose, où le banal se sublime en mythe, et où l’ordinaire se revêt de l’aura du sacré.

À table, nous ne sommes pas de simples convives, mais des acteurs d’un drame intemporel, où les mets deviennent des offrandes, des fragments de récits anciens. Le pain, ce morceau de terre pétrie par les mains de l’homme, n’est pas qu’une nourriture, il est le corps de l’histoire, la mémoire des moissons et des famines, la promesse du partage et de la communauté. Le vin, quant à lui, n’est pas simplement le fruit de la vigne, mais le sang des dieux, une liqueur sacrée qui scelle les alliances et désinhibe les âmes, ouvrant la voie à des vérités cachées, à des confessions murmurées entre deux gorgées.

Les corps, dans cette scène rituelle, se meuvent comme des figures dans une fresque symbolique, chacun incarnant un archétype, une histoire, un destin. Le corps rond, généreux, est l’incarnation de la terre, fertile et nourricière, il est le bassin où se mélangent les souvenirs de festins passés et les espoirs de banquets futurs. Le corps élancé, au contraire, est l’ombre du vent, la promesse d’un ailleurs, une échappée vers des hauteurs spirituelles où la matière cède à l’âme. Chaque corps, chaque posture, devient alors une métaphore, un signe à déchiffrer, un mystère à élucider.

Le repas, dans sa dimension chorégraphique, est une danse où chaque geste est porteur d’une signification profonde, où les mouvements des mains, des couverts, des lèvres, sont autant de pas dans une partition complexe. Le service des plats, par exemple, devient un ballet rituel, où le passage des assiettes de main en main est un acte de transmission, de communion, où se joue une relation de pouvoir et de partage, où l’offrande est à la fois un don et une demande, une ouverture et une clôture.

L’imaginaire se déploie ici comme un souffle qui anime la scène, donnant vie aux objets, aux aliments, aux corps eux-mêmes. Le plat, dans sa présentation soignée, n’est pas seulement un objet de consommation, il est une œuvre d’art éphémère, une sculpture de chair et de saveurs, une allégorie du monde en miniature. Le repas devient alors une manière de réenchanter le quotidien, de réintroduire le merveilleux dans l’ordinaire, de faire de chaque bouchée un moment de contemplation, un instant suspendu où le temps se fige, où l’instant devient éternité.

 

 

 

 

LES BOUCHES DE BACCHUS

Dans cette mise en scène du repas, les significations se multiplient, se croisent, se contredisent parfois. Ce que l’un voit comme un geste de paix, l’autre peut le percevoir comme une déclaration de guerre ; ce qui semble être une simple convivialité pour certains, devient pour d’autres un terrain d’affrontements subtils, où les mots sont des lames et les silences des abîmes. Le repas est un champ de bataille où se jouent les alliances et les trahisons, où l’imaginaire collectif se confronte aux réalités individuelles, où les corps eux-mêmes deviennent des territoires à conquérir ou à défendre.

L’acte de manger, dans ce contexte, dépasse de loin la simple satisfaction d’un besoin biologique. Il devient une question existentielle, une manière de se situer dans le monde, de réaffirmer son humanité, de se relier aux autres et au cosmos. Manger, c’est devenir un avec ce que l’on mange, c’est absorber l’énergie de la terre, du soleil, du travail des hommes et des femmes qui ont cultivé, récolté, transformé cette nourriture. C’est un acte de communion avec la nature, avec l’histoire, avec les autres.

Ainsi, le repas est bien plus qu’un acte social : il est une œuvre d’art en mouvement, une performance où chaque convive est à la fois spectateur et acteur, où chaque geste, chaque parole, chaque silence, contribue à tisser la trame d’un récit collectif. C’est un moment de création, où l’imaginaire collectif se mêle à l’intime, où l’on réinvente les mythes, où l’on réaffirme les liens, où l’on se perd et se retrouve dans une danse infinie de sens et de symboles.

SCÉNOGRAPHIE – Une symphonie en quatre temps

La scénographie se déploie avec une simplicité apparente, mais elle est porteuse d’une richesse symbolique qui transcende l’espace scénique. Huit chaises disposées autour d’une table centrale, où le repas se décline en quatre mouvements : l’apéritif, l’entrée, le plat, et le dessert. Cet agencement n’est pas seulement une invitation à un banquet, mais une métaphore de la progression et de la transformation, tant des corps que des esprits.

Chaque chaise devient un trône éphémère, où les danseurs et les convives, tour à tour, incarnent des personnages en constante évolution. La table, élément central et symbolique, devient le cœur battant de la scène, autour duquel gravitent les interactions humaines, les dialogues, et les métamorphoses. Ce n’est pas seulement un lieu de partage alimentaire, mais un autel de transformation, où la danse et la consommation se mélangent dans un rituel sensoriel.

L’apéritif ouvre le bal, léger et effervescent, stimulant les sens et préparant le terrain pour ce qui va suivre. Les mouvements sont encore fluides, presque espiègles, alors que les danseurs effleurent la table, initiant les premiers échanges.

Vient ensuite l’entrée, où les gestes se font plus précis, plus marqués, comme une promesse d’intensité à venir. Les chaises deviennent alors des points de pivot, des éléments de support et de contrainte, symbolisant les choix et les relations qui se tissent autour de ce repas.

Le plat principal, cœur de cette symphonie, amène une lourdeur, une densité, où les corps s’affrontent et se fondent, influencés par les saveurs et les tensions qui émergent. La table, qui était lieu de partage, devient aussi un espace de lutte intérieure et extérieure, où chaque geste, chaque bouchée, devient un acte de métamorphose.

Enfin, le dessert clôt ce festin avec une douceur trompeuse, laissant place à une réflexion finale. Les mouvements s’allègent, mais l’ombre des transformations reste présente, ancrée dans les corps et dans l’espace scénique.

La scénographie s’achève sur une note délicate, où chaque chaise, chaque élément de ce repas se révèle avoir été le théâtre d’une exploration profonde des rapports humains et des métamorphoses qui les gouvernent.

À travers cette table et ces huit chaises, Les Bouches de Bacchus transcende le simple banquet pour devenir une allégorie de la vie elle-même, où chaque repas est une étape, chaque mouvement une décision, et chaque invité le reflet de ses propres choix.

L’ATELIER DU REGARD ET DE LA PERFORMANCE

Les bouches de Bacchus est une œuvre où la chorégraphie transcende les frontières du spectacle pour devenir une métamorphose vivante. Dans cette expérience immersive à 360 degrés, la scène se déploie comme une grande tablée où l’art de la danse se mêle aux aléas du hasard, révélant la beauté des imprévus dans chaque mouvement.

À mesure que les danseurs s’engagent dans cette célébration sensorielle, ils deviennent les miroirs de leurs propres choix et de leur consommation. La nourriture et les fluides—alcool, eau, softs—ne sont pas de simples éléments décoratifs; ils deviennent des agents de transformation, métamorphosant les corps en reflet de leurs propres désirs et décisions. L’ingestion devient un acte révélateur, une plongée dans l’inconscient qui dévoile les nuances des relations humaines et la fluidité des interactions sociales.

Chaque geste, chaque bouchée, chaque gorgée réécrit la chorégraphie dans une danse où l’ordre se mêle au désordre, où les règles écrites se plient aux caprices de l’instant. Les dialogues et conversations, présents à chaque tournant du banquet, s’entrelacent aux mouvements, créant un réseau complexe d’échanges qui nourrit et modifie la performance. Les danseurs naviguent entre contraintes et adaptations, devenant le reflet vivant de leurs propres choix et de l’impact de leur consommation sur leur être.

Les bouches de Bacchus est une réflexion poétique sur la métamorphose sociologique, une exploration de comment les rapports humains et les choix personnels façonnent notre identité. La scène devient le miroir de nos comportements, une célébration des transformations qui se produisent lorsque le systématique rencontre le spontané, et où chaque moment devient une révélation de la danse de la vie elle-même.

Dans ce contexte où les frontières entre l’art, la création et la vie sont brouillées, Les bouches de Bacchus pousse les spectateurs à réévaluer leur rôle traditionnel et leur relation avec l’œuvre. Cette performance ne se contente pas de défier les conventions artistiques; elle invite le public à se repositionner dans un espace où l’art ne se limite plus à une simple observation passive mais devient une expérience vécue.

La question se pose alors : dans cette immersion totale où chaque mouvement, chaque choix, chaque interaction est en constante évolution, qu’est-ce qu’un spectateur est devenu aujourd’hui ? La distinction entre créateur et observateur se dissout, et l’objet de l’expérience artistique se redéfinit. Est-ce encore un espace clos où l’art est observé de l’extérieur, ou devient-il un terrain d’expérimentation où chaque individu est acteur de la performance ? En plongeant au cœur de cette œuvre, le spectateur est invité à réfléchir sur la nature même de l’art : est-ce que cette expérience sensorielle et interactive nous éclaire sur une nouvelle essence de l’art, où les frontières entre le fait artistique et l’expérience vécue se rejoignent ? En somme, que révèle cette nouvelle forme de performance sur notre compréhension de l’art et de son impact sur nous ? Les bouches de Bacchus ouvre ainsi un dialogue sur la nature de l’art et sur notre place en tant que participants dans cette danse incessante entre le vécu et la représentation.